Vie littéraire; la suite:
4 ème étape : le XVIIème siècle ; la Querelle des Anciens et des Modernes :
introduction :1687 : Querelle des Anciens et des Modernes. Cette querelle s’étend dans le domaine littéraire et politique (partisans des auteurs anciens vs. ceux des modernes). La confontation d’idées a lieu dans de nombreux ouvrages. Chronologiquement, des hommes de lettres s’opposent, et ce depuis le moyen- âge et par delà le 17ème siècle (les Classiques : le passé, les romantiques : époque contemporaine). Le débat est d’ailleurs encore d’actualité.
La querelle se fonde sur le but de se forger une identité culturelle. Certains estiment que la culture n’est possible que dans la continuité et d’autres estiment qu’une rupture est nécessaire.
La querelle a une ampleur considérable ; elle renvoie à des transformations profondes dans la littérature française. Tout se passe à Paris, à l’académie française et à la Cour. C’est une étape essentielle parce que spectaculaire. En gros, c’est Fontenelle et Perrault (modernes) / Racine et Boileau.
1) l’événement :c’est un poème de Charles Perrault qui déclenche le conflit ; il y fait l’éloge du siècle de Louis le Grand, panégyrique de Louis XIV qui éclaire son siècle. Emphase et exagération dans le texte. Il compare le siècle de Louis le Grand avec l’Antiquité et conclue que le siècle de Louis le Grand dépasse de loin l’Antiquité.
- l’Antiquité : culture assez riche pour aider les hommes à devenir vraiment cultivés. Boileau fait une reprise d’Aristote et d’ Horace pour définir les préceptes de l’écriture.
- les Modernes : Fontenelle ; digression sur les Anciens et les Modernes. Parallèle tracé entre les Anciens et les Modernes (3ème édition en 1692).
Boileau publie un texte de tradition française ; le Traité du Sublime ( inspiré de Longin) ; qui est un texte phare de la poétique, il fait donc opposition puisqu’il puise dans les richesses des textes antiques.
2) la louange du roi :il s’agit d’un poème littéraire et poétique : la louange du roi (noblesse de la tâche). Dimension triviale parce qu’il s’agit essentiellement d’obtenir les faveurs du roi via la flatterie.
Le poème de Perrault est une provocation des Anciens car le roi apparaît comme une figure incomparable avec les figures de l’Antiquité. il montre que dans tous les domaines, le roi surpasse tous les siècles antiques (politique, militaire, scientifique et artistique). Cette comparaison se place d’emblée sur le plan de la provocation, car ce qui est implicite, c’est la critique adressée aux Anciens en faisant tomber les auteurs antiques de leur piédestal. Il ne s’agit pas non plus de se limiter à l’art mais de tout y engager.
- l’avis des Modernes : pour Perrault, il est nécessaire de procéder à une mise à distance critique de l’Antiquité, il faut réfléchir avec son siècle et dépasser les superstitions et les préjugés. Pour Fontenelle, il s’agit de faire la démonstration des progrès de la Science, la Nature est toujours la même, donc on produit autant de génies que l’Antiquité.
3) l’apport des Modernes :aucune production humaine ne doit se soustraire à la raison. Les différences sociales, politiques et culturelles entre les cultures sont soulignées.
La galanterie permet d’écrire des ouvrages savants en des termes simples pour être mis à la portée de celles et ceux qui n’ont pas de culture scientifique ou artistique.
conclusion :les modernes apportent des perspectives importantes par rapport à des Anciens dont les idées sont toutes aussi intéressantes mais ils restent gênés par ce qu’ils considèrent comme une solution au politique ( liberté de l’écrivain, distance du temps et de l’écriture). ce qui gêne tant Anciens que Modernes, c’est la serviabilité (pour ne pas dire servitude) du courtisan. Tous redoutent la soumission au pouvoir politique. L’idée des Anciens, c’est de se baser sur les textes antiques pour progresser, alors que les Modernes souhaitent se détacher des textes antiques. Mais tous deux ont une volonté d’enrichissement et de prendre le temps de la méditation.
EXTRAITS :Charles Perrault,
Le Siècle de Louis le Grand, 1687
La belle Antiquité fut toujours vénérable,
Mais je ne crus jamais qu’elle fut adorable.
Je vois les Anciens sans ployer les genoux,
Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme
nous ;
et l’on peut comparer sans craindre d’être injuste
le siècle de LOUIS au beau siècle d’ Auguste.
En quel temps sut- on mieux le dur métier de Mars ?
Quand d’un plus vif assaut força t- on des rempatrs ?
Et quand vit- on monter au sommet de la gloire
D’un plus rapide cours le char de la Victoire ?
Si nous voulions ôter le voile spécieux
Que la prévention nous met devant les yeux ,
Et lassés d’applaudir à mille erreurs grossières,
Nous servir quelquefois de nos propres lumières,
Nous verrions clairement que sans témérité
On peut n’adorer pas toute l’Antiquité,
Et qu’enfin dans nos jours, sans trop de confiance,
On lui peut disputer le prix de la Science (…)
Donc quel haut rang d’honneur ne devront point
Tenir
Dans les fastes sacrés des siècles à venir
Les Régnier, les Maynards, les Gombauld, les Malherbes,
Les Godeaux, les Racans, dont les écrits superbes,
En sortant de leur veine et dès qu’ils furent nés,
D’un laurier immortel se virent couronnés ?
Combien seront chéris par les races futures
Les galants Sarasins, les aimables Voitures,
Les Molières naïfs, les Rotrous, les Tristans,
Et cent autres encor délices de leur temps ?
Mais quel sera le sort du célèbre Corneille,
Du théâtre français l’honneur et la merveille,
Qui sut si bien mêler aux grands événements
L’héroïque beauté des nobles sentiments ?
Qui des peuples pressés bvit cent fois l’affluence
Par de longs cris de joie honorer sa présence,
Et les plus sages rois de sa veine charmés,
Ecouter les héros qu’il avait animés.
De ces rares auteurs, au temple de Mémoire,
On ne peut concevoir quelle sera la gloire,
Lorsqu’insensiblement consacrant leurs écrits,
Tout art n’est composé que des secrets divers
Qu’aux hommes curieux l’usage a découverts,
Et cet utile amas de choses qu’on invente,
Sans cesse chaque jour ou s’épure ou s’augmente.
Ainsi les humbles toits de nos premiers aïeux,
Couverts négligemment de joncs et de glaïeux,
N’eurent rien de pareil en leur architecture
A nos riches palais d’éternelle structure ;
Ainsi le jeune chêne en son âge naissant
Ne se peut comparer au chêne vieillissant
Qui jetant sur la terre un spacieux ombrage
Avoisine le ciel de son vaste branchage.
Mais c’est peu, dira t- on, que par un long progrès
Le temps de tous les arts découvre les secrets ,
La Nature affaiblie en ce siècle où nous sommes
Ne peut plus enfanter de ces merveilleux hommes
Dont avec abondance, en mille endroits divers,
Elle ornait les beaux jours du naissant univers,
Et que tout pleins d’ardeur , de force et de lumière,
Elle donnait au monde sa vigueur première.
A former les esprits comme à former les corps,
La Nature en tous temps fait les mêmes efforts,
Son être est immuable et sa force aisée
Dont elle produit tout ne s’est point épuisée ;
Jamais l’astre du jour qu’aujourd’hui nous voyons,
N’eut le front couronné de plus brillants rayons,
Jamais dans le printemps les roses empourprées
D’un plus vif incarnat ne furent colorées ;
Non moins blanc qu’autrefois brille dans nos jardins
L’éblouissant émail des lis et des jasmins,
Et dans le siècle d’or la tendre Philomèle,
Qui charmait nos aieux de sa chanson nouvelle,
N’avait rien de plus doux que celle dont la voix
Réveille les échos qui dorment dans nos bois ;
De cette même main les forces infinies
Produisent en tous temps de semblables génies.
Les siècles, il est vrai, sont entre eux différents,
Il en fut d’éclairés, il en fut d’ignorants ;
Mais si le règne heureux d’un excellent Monarque
Fut toujours de leur prix et la cause et la marque,
Quel siècle pour ses rois, des hommes révéré,
Au siècle de LOUIS peut être préféré ?
De LOUIS qu’environne une gloire immortelle,
De LOUIS des grands rois le plus parfait modèle.
Le Ciel en le formant épuisa ses trésors
Et le combla des dons de l’esprit et du corps ;
Par l’ordre des Destins la Victoire asservie
A suivre tous les pas de son illustre vie,
Animant les efforts de ses vaillants guerriers,
Dès qu’il régna sur nous le couvrit de lauriers ;
Mais lorsqu’il entreprit de mouvoir par lui- même
Les pénibles ressorts de la grandeur suprême,
De quelle majesté, de quel nouvel éclat,
Ne vit- on pas briller la face de l’Etat ?
La pureté des lois partout est rétablie,
Des funestes duels la rage est abolie ;
Sa valeur en tous lieux soutient ses alliés,
Sous elle les ingrats tombent humiliés,
Et l’on voit tout à coup les fiers peuples de l’Ebre
Du rang qu’il tient sur eux rendre un aveu célèbre.
Son bras se signalant par cent divers exploits
Des places qu’il attaque en prend quatre à la fois ;
Aussi loin qu’il le veut il étend ses frontières,
En dix jours il soumet des provinces entières,
Son armée à ses yeux passe un fleuve profond
Que César ne passa qu’avec l’aide d’un pont.
De trois vastes Etats les haines déclarées
Tournent contre lui seul leurs armes conjurées ;
Il abat leur orgueil, il confond leurs projets,
Et pour tout châtiment leur impose la paix.
A rendre à leur bercail les troupeaux égarés
Qu’une mortelle erreur en avait séparés,
Et par ses pieux soins l’Hérésie étouffée
Fournit à ses vertus un immortel trophée.
Peut- être qu’éblouis par tant d’heureux progrès,
Nous n’en jugeons pas bien pour en être trop près.
Consultons au dehors et formons nos suffrages
Au gré des nations des plus lointaines plages,
De ces peuples heureux ou plus grand, plus vermeil,
Sur un char rubis se lève le Soleil,
Où la Terre en tous temps, d’une main libérale,
Prodigue ses trésors qu’avec pompe elle étale,
Dont les superbes rois sont si vains de leur sort,
Qu’un seul regard sur eux est suivi de la mort.
L’invincible LOUIS, sans flotte, sans armée,
Laisse agir en ces lieux sa seule renommée,
Et ces peuples charmés de ses exploits divers
Traversent sans repos le vaste sein des mers
Pour venir à ses pieds lui rendre un humble hommage,
Pour se remplir les yeux de son auguste image,
Et goûter le plaisir de voir tout à la fois
Des hommes le plus sages, et le plus grand des rois.
Ciel à qui nous devons cette splendeur immense
Dont on voit éclater notre siècle et la France,
Poursuis de tes bontés le favorable cours,
Et d’un si digne roi conserve les beaux jours,
D’un roi qui, dégagé des travaux de la guerre,
Aimé de ses sujets, craint de toute la Terre,
Ne va plus occuper tous ses soins généreux
Qu’à nous régir en paix, et qu’à nous rendre heureux.
Fontenelle,
Digression sur les Anciens et les Modernes, 1688
Toute à la question de la prééminence entre les Anciens et les Modernes étant une fois bien entendue, se réduit à savoir si les arbres qui étaient autrefois dans nos campagnes étaient plus grands que ceux d’aujourd’hui. en cas qu’ils l’aient été, Homère, Platon, Démosthène ne peuvent être égalés dans ces derniers siècles ; mais si nos arbres sont aussi grands que ceux d’autrefois, nous pouvons égaler Homère, Platon et Démosthène.
Eclaircissons ce paradoxe. Si les Anciens avaient plus d’esprit que nous, c’est donc que les cerveaux de ce temps là étaient mieux disposés, formés de fibres plus fermes ou plus délicates, remplis de plus d’esprits animaux ; mais en vertu de quoi les cerveaux de ce temps auraient- ils été mieux disposés ? les arbres auraient donc été aussi plus grands et plus beaux ; car si la Nature était alors plus jeune et plus vigoureuse, les arbres aussi bien que les cerveaux des hommes, auraient dû se sentir de cette vigueur et de cette jeunesse.
Que les admirateurs des anciens y prennent un peu garde, quand ils nous disent que ces gens- là sont les sources du bon goût et de la raison et les lumières destinées à éclairer tous les autres hommes, que l’on a d’esprit qu’autant qu’on les admire, que la Nature s’est épuisée à produire ces grands originaux : en vérité ils nous les font d’une autre espèce que nous, et la physique n’est pas d’accord avec toutes ces belles phrases. La Nature a entre les mains une certaine pâte qui est toujours la même, qu’elle tourne et retourne sans cesse en mille façons, et dont elle forme les hommes, les animaux, les plantes ; et certainement elle n’a point formé Platon, Démosthène ni Homère d’une argile plus fine ni mieux préparée que nos philosophes, nos orateurs et nos poètes d’aujourd’hui. je ne regarde ici, dans nos esprits, qui ne sont pas d’une nature matérielle, que la liaison qu’ils ont avec le cerveau, qui est matériel, et qui par ses différentes dispositions produit toutes les différences qui sont entre eux.