Une vocation de conteur. L'humoriste Raymond Devos s'était imposé comme l'un des plus subtils manipulateurs de la langue française en inventant un style où images, "malentendus, homonymies et figures de style" se télescopaient pour débusquer l'absurde et faire éclater le rire. Né le 9 novembre 1922 à Mouscron, en Belgique, Raymond Devos a deux ans lorsque sa famille s'installe à Tourcoing, dans le nord de la France. Il découvre à cinq ans, sur le perron de son école, son don de conteur et sa vocation: le plaisir de captiver un auditoire. Ce n'est qu'en 1945 qu'il peut les mettre en pratique, après avoir connu, à la suite de la faillite de son père, la pauvreté dans la banlieue parisienne, les petits boulots dès 13 ans aux Halles de Paris, puis la guerre, le STO. Il prend alors des cours de théâtre chez Tania Balachova et Henri Rollan, puis de mime chez Etienne de Croux. Dès 1947, il est engagé. Suivent alors les soirées de cabaret à la Rose Rouge et au Vieux Colombier, et la comédie dans la troupe de Jacques Fabbri.
Un premier one man show en 1964. En 1957 débute à l'Alhambra en seconde partie ce que Devos appelle son "aventure solitaire". Il présente son premier one man show en 1964 au Théâtre des Variétés. Avec "La Mer démontée", "Le Car pour Caen", "Les sens interdits", "Mon chien c'est quelqu'un" ou "Sens dessus dessous", cet homme timide au physique d'ogre débonnaire incarne un comique basé sur la chute, le malaise, l'échec, l'humiliation. Jusque dans les années 90, il multipliera tournées triomphales et one man shows. D'abord réticent à éditer ces textes, l'humoriste avait finalement publié une dizaine d'ouvrages dont "Matière à rire" (1992), résumant alors ses trente-cinq ans de scène. Viennent ensuite deux récits rocambolesques, "Un jour sans moi" (1996), et "Les 40e délirants" (2002) puis, en 2003, une nouvelle illustrée par Yves Saint-Laurent, "Une Chenille nommée Vanessa".
De nombreuses distinctions. Commandeur de la légion d'honneur, Devos avait reçu de nombreuses distinctions, dont le Grand prix du disque de l'Académie Charles Cros (1975), un Molière du meilleur one man show (1989), un Molière d'honneur (2000), le Grand prix de l'humour de la Sacem (2001). En 2003, le ministère de la Culture crée en son hommage le Prix Raymond-Devos, destiné à récompenser un travail d'excellence autour de la langue française. En février dernier, une bataille judiciaire sordide avait éclaté autour de son hospitalisation: une femme disant être sa compagne avait demandé à la justice de l'autoriser à lui rendre visite alors que, selon sa famille et l'hôpital, l'humoriste refusait de la voir.
Un petite florilège.
« Quand on s'est connus, ma femme et moi, on était tellement timides tous les deux qu'on n'osait pas se regarder. Maintenant, on ne peut plus se voir ! »
« Le rire est une chose sérieuse avec laquelle il ne faut pas plaisanter. »
« Je suis adroit de la main gauche et je suis gauche de la main droite. »
« Je préfère glisser ma peau sous des draps pour le plaisir des sens que de la risquer sous les drapeaux pour le prix de l'essence. »
« J'ai un copain, il est pilote d'essai… enfin, il ne l'est pas encore; pour l'instant, il essaie d'être pilote ! »
« Je n'aime pas être chez moi. A tel point que lorsque je vais chez quelqu'un et qu'il me dit : “Vous êtes ici chez vous”, je rentre chez moi ! »
« Si Dieu n'est pas marié, pourquoi parle-t-on de sa grande Clémence ? »
« J'ai le pied gauche qui est jaloux du pied droit. Quand j'avance le pied droit, le pied gauche, qui ne veut pas rester en arrière… passe devant… le pied droit en fait autant… et moi… comme un imbécile… je marche. »
« Rien, ce n'est pas rien ! La preuve, c'est que l'on peut le soustraire. Exemple : rien moins rien = moins que rien ! »
« Il m'est arrivé de prêter l'oreille à un sourd. Il n'entendait pas mieux. »
« Tous les écologistes sont daltoniens, ils voient vert partout ! »
« Il buvait toutes mes paroles, et comme je parlais beaucoup, à un moment, je le vois qui titubait… »
« Avez-vous remarqué qu'à table les mets que l'on vous sert vous mettent les mots à la bouche ? »
« En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées ! Alors, j'ai troqué ma deux chevaux contre une deux bœufs ! »
« Vous savez, les idées elles sont dans l'air. Il suffit que quelqu'un vous en parle de trop près, pour que vous les attrapiez ! »
« Quand on demande aux gens d'observer le silence… au lieu de l'observer, comme on observe une éclipse de lune, ils l'écoutent ! »